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Si un âne vous donne un coup de pied !

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  • Post category:De Vous à moi
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On dit que la vengeance est un plat qui se mange froid. Ce n’est pas vrai. Elle se mange brûlante, avec les doigts, en se brûlant la langue et vous êtes la seule à souffrir en silence. 

Mais qu’importe : depuis toujours, lorsqu’on reçoit un coup, une gifle réelle ou une parole qui claque plus fort qu’une main, une part de vous veut le rendre. C’est presque un réflexe animal. Et vous le connaissez, ce désir qui serre la gorge, celui d’appuyer là où ça fait mal, juste pour équilibrer la douleur.

Le Moyen Âge : le fer et le sang

Imaginez un village médiéval. Un homme insulte un autre sur la place publique. Le lendemain, ils se retrouvent dans un champ, l’épée à la main. Ne pas se venger, c’était accepter la honte, perdre son rang, devenir invisible aux yeux des autres. On mourait pour sauver son nom, comme si un blason valait plus que le rire d’un enfant ou la caresse d’une épouse.

Peut-être avez-vous déjà ressenti cela : l’envie d’attaquer à votre tour, de répliquer, immédiatement, pour ne pas “laisser passer”. Comme si votre dignité dépendait de la riposte. Mais, dans ces moments-là, n’est-ce pas souvent l’orgueil qui tient l’épée, bien plus que votre cœur ?

Reconnaissons-le : avec un nom médiéval aussi pompeux que “Enguerrand de la Bouzolle”, se battre devenait presque une question d’esthétique.

La Renaissance : l’élégance meurtrière

À la Renaissance, on continuait à se venger, mais en y mettant des rubans. Les poisons circulaient dans les coupes, certains mariages se terminaient en tragédie, les familles s’entre-déchiraient derrière les dorures des palais. La vengeance avait troqué l’épée contre le parfum de l’arsenic.

Vous avez sans doute connu cela autrement : non pas à travers un poison, mais dans une parole douce en surface et acérée au-dedans, un véritable poison déguisé. Un sourire figé qui cache une rage, une petite phrase lancée avec élégance mais qui coupe l’âme plus sûrement qu’une lame. Une vengeance raffinée : invisible aux yeux des autres, mais cuisante pour celui qui la reçoit.

Sous les étoffes, les hommes restaient les mêmes : des ânes parfumés.

Le temps des lois : le feu sous la cendre

Puis vinrent les lois. Les duels furent interdits. On remit la vengeance entre les mains des juges. On ne croisait plus le fer, mais des parchemins. La haine, elle, n’avait pas disparu : elle s’était simplement habillée de procédures et de plaidoiries.

Vous savez peut-être ce que cela veut dire : ces querelles familiales autour d’un héritage, où un frère et une sœur cessent de se parler parce qu’un notaire a tranché en faveur de l’un. Les assiettes et les meubles deviennent prétextes à raviver des blessures vieilles de plusieurs décennies. Ce n’est plus un duel au sabre, c’est un duel de regards glacés autour d’une table.

En vérité, On n’a pas vraiment supprimé le sang, on l’a remplacé par l’encre. Peut-être est-ce pour cela que les avocats semblent si pâles.

L’époque moderne : la vengeance ordinaire

Aujourd’hui, la vengeance est plus discrète, mais elle n’a pas disparu. Elle se loge dans les silences interminables, dans les regards qu’on détourne, dans les portes qu’on claque. Elle ronge les familles, les couples, les amitiés.

Vous le savez : cette rancune qu’on rumine la nuit entière, cette phrase qu’on rejoue cent fois dans sa tête, ces réponses qu’on imagine mais qu’on ne prononce jamais. Un frère qui ne parle plus à sa sœur depuis trente ans pour une clôture. Une fille qui ne pardonne pas à sa mère une préférence trop visible. Une épouse qui ressasse chaque soir une trahison vieille de vingt ans, comme si elle avait eu lieu la veille. Voilà nos tragédies modernes : moins spectaculaires que les duels, mais tout aussi cruelles.

Et parfois, la vengeance prend un visage encore plus terrible : elle devient double. 

D’un côté, il y a la vengeance dirigée vers l’autre : la réplique, le silence glacial, le mot blessant lancé comme une flèche. 

Mais de l’autre côté, il y a cette vengeance retournée contre soi. Comme si, pour punir vraiment l’autre, il fallait aussi se punir soi-même.

C’est refuser de dormir pour mieux ressasser, s’interdire la paix intérieure pour rappeler sans cesse à l’autre qu’il a détruit quelque chose. 

C’est s’enfermer dans la rancune comme dans une cellule, en se disant : “Puisque tu m’as fait souffrir, je vais continuer à souffrir, et tu verras bien ce que tu m’as fait.” 

C’est se priver volontairement de bonheur, de joie, d’avenir, uniquement pour garder vivante la blessure.

Vous le savez, n’est-ce pas ? 

Ce moment où vous vous dites que sourire serait une trahison de votre douleur. 

Ce moment où vous refusez de tourner la page parce qu’oublier un peu signifierait, selon vous, minimiser l’offense. 

Alors vous tenez la plaie ouverte, jour après jour, pour prouver que la blessure existe. Mais ce faisant, vous vous blessez davantage que l’autre.

Voilà la cruauté de la double vengeance : l’autre reçoit peut-être une gifle, mais vous recevez mille coups à l’intérieur. 

L’autre passe à autre chose, mais vous, vous restez prisonnière. 

L’autre vous a fait mal une fois ; vous vous faites mal cent fois pour lui rendre son mal.

Et il faut bien le reconnaître : cette spirale ne mène nulle part.

 La vengeance vieillit mal. 

À vingt ans, elle semble courage. 

À quarante ans, elle écrase. 

À soixante ans, elle épuise. 

Et à quatre-vingts ans, elle fait sourire tristement ceux qui n’attendent plus rien d’autre que la paix.

Une victoire silencieuse

Alors oui, ne pas rendre le coup paraît insupportable. Presque humiliant. Mais c’est une rupture. C’est dire : “Je ne veux plus appartenir à cette histoire-là.” 

Dans une dispute familiale, vous taire, ce n’est pas vous soumettre, c’est préserver l’avenir. 

Dans un couple, choisir de respirer plutôt que de crier, c’est parfois sauver la dernière chance d’aimer encore.

Il vous arrivera de craquer, bien sûr. Le mot partira, la gifle claquera, la colère jaillira. 

Ce n’est pas une faute : c’est la preuve que vous êtes humain. 

Et l’être humain est étrange : capable de bâtir des cathédrales le matin, et de vouloir étrangler son voisin l’après-midi parce que sa chèvre a brouté trop loin.

Mais chaque fois que vous résistez, même une seule fois, à l’envie de rendre le coup, vous accomplissez bien plus qu’un geste. 

Vous brisez une chaîne qui vous relie aux siècles passés. 

Vous refusez d’imiter l’âne. 

Et vous redevenez pleinement vous-même.

Et cette victoire-là, silencieuse, fragile, parfois noyée dans les larmes, vaut plus que toutes les vengeances spectaculaires.

Car il n’y a pas de revanche plus éclatante que celle de n’avoir plus besoin de se venger.

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