Il y a des douleurs qui ne passent pas.
Pas celles qui font grimacer sur le moment, pas celles qui s’effacent avec un cachet ou une nuit de repos. Non.
Des douleurs qui s’incrustent, qui colonisent le corps, puis l’âme.
Des douleurs qui deviennent une pièce de la maison. Un meuble encombrant que l’on finit par contourner sans même le voir.
Quand la douleur devient chronique, elle ne se contente pas de faire mal. Elle enlève. Elle retire des morceaux de vie, une sortie annulée, un emploi perdu, un ami qui s’éloigne. Elle ronge l’identité. Certains disent : « Je ne suis plus moi-même ». D’autres ne disent plus rien du tout.
Sortir de l’ombre
On croit souvent que ce qui sauve, c’est le soulagement. Que le seul but du soin est de faire taire le mal.
Mais il y a une autre urgence, plus discrète, plus vitale : retrouver sa place dans le monde.
Rien de plus violent que l’inutilité ressentie. Rien de plus cruel que le sentiment de ne plus appartenir à rien.
Réinsérer, ce n’est pas “réparer” un patient.
C’est lui tendre la main pour qu’il redevienne acteur.
C’est lui permettre de reprendre pied dans une vie qui a continué sans lui.
C’est lui dire : « Vous êtes encore là. Et vous comptez. »
Ce que le soin seul ne suffit pas à faire
Oui, il y a les traitements, les antalgiques, les électrodes, les stimulations, les massages, les méditations. Et ils sont essentiels.
Mais il y a aussi le reste :
- Le groupe de parole où l’on se sent enfin compris sans avoir à se justifier.
- La séance de yoga où l’on s’étonne de bouger sans peur.
- Le jardin partagé où l’on remet les mains dans la terre… et dans la réalité.
- Le travail adapté, même quelques heures, qui redonne une utilité sociale.
- Le lien. Celui qui répare, petit à petit, les fissures invisibles.
L’enfer, c’est l’isolement. Pas la douleur.
Ce que la douleur chronique attaque en premier, c’est souvent le lien.
Les amis s’éloignent. Les collègues ne comprennent pas. Les proches s’épuisent.
On commence à décliner les invitations, à s’excuser d’exister, à croire qu’on est un poids.
Alors on se replie. Et on s’éteint.
Briser cet isolement, c’est parfois plus thérapeutique qu’un médicament.
Parce que le regard d’un autre peut relancer quelque chose. Une envie. Un souffle. Un projet.
Une société à repenser
Tant que nous jugerons les patients douloureux sur leur capacité à courir, travailler, sourire, nous passerons à côté de l’essentiel.
La douleur chronique n’est pas une faiblesse. Ce n’est pas une maladie honteuse. C’est un combat quotidien.
Et ceux qui le mènent ont besoin d’une société qui les accompagne, pas qui les exclut.
Inclure, ce n’est pas “faire une fleur”.
C’est reconnaître la valeur intacte d’une personne même quand son corps ne suit plus.
À vous qui lisez ce texte et qui souffrez
Vous avez peut-être l’impression d’être seul.e. Invisible. Oublié.e.
Mais vous n’êtes pas votre symptôme.
Vous n’êtes pas une case “ALD” ou “inapte”.
Vous êtes toujours digne. Vous êtes toujours vivant.e.
Et vous avez le droit de rêver encore, de sortir, de créer, d’aimer, de reprendre votre place.
Même lentement. Même autrement.