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L’inégalité envers soi-même : Quand la guerre se joue à l’intérieur

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Les injustices invisibles

Il y a des guerres qu’aucune paix ne signe, des injustices qu’aucun juge ne répare.

Elles ne se passent pas dans le monde, mais à l’intérieur de soi.

Elles se nichent dans le silence de nos matins fatigués, dans ces voix muettes qui nous répètent que nous ne sommes pas assez ceci, pas assez cela.

Elles s’appellent l’inégalité envers soi-même — cette étrange maladie de l’âme qui nous fait traiter notre être comme un territoire à piller.

Je la vois partout : dans les yeux de ceux qui s’épuisent à mériter leur propre tendresse, dans les gestes nerveux de ceux qui se punissent de respirer trop fort.

Nous sommes devenus les comptables de nos fautes imaginaires.

L’addiction à la sévérité

“Je n’ai jamais eu de patron aussi injuste que moi.”

C’est ainsi qu’un homme d’une cinquantaine d’années m’a résumé sa vie.

Chaque matin, il se levait avec la rage de prouver quelque chose qu’il ignorait.

Chaque succès était un soulagement de quelques heures avant le retour de l’accusation : “Tu peux mieux faire.”

Il avait fait de la vie un concours sans fin dont il était le seul participant.

C’est cela, l’inégalité envers soi-même : quand le juge qu’on porte en soi refuse éternellement d’acquitter l’enfant qu’on fut.

Ce n’est pas un manque d’amour, c’est une addiction à la sévérité.

Et comme toutes les dépendances, elle finit par épuiser la joie.

Le miroir devenu tribunal

Il y a aussi ces visages trop bien éclairés, ces sourires calibrés.

Une jeune femme d’à peine trente ans m’avouait ne plus supporter son propre visage sans lumière artificielle.

“Je suis devenue mon propre spot publicitaire”, disait-elle.

Chaque regard d’autrui était un verdict.

Elle vivait suspendue à des chiffres, à des cœurs rouges, à des reflets.

Son miroir n’était plus un objet, mais un tribunal.

“Notre époque fabrique des reflets plus vite que des vérités.”

Elle nous vend l’illusion qu’être vu, c’est être.

Et dans cette confusion, des milliers d’êtres se vident à force de briller.

C’est la plus perverse des inégalités : celle où on devient spectateur de sa propre vie.

 Ceux qui s’oublient en donnant

Une infirmière m’a dit un jour :

“Je n’ai pas le droit d’être fatiguée, je soigne des gens qui souffrent plus que moi.”

Ses migraines, ses insomnies, sa lassitude — elle les traitait comme des fautes morales.

Elle avait oublié que la compassion, comme l’oxygène, ne se partage bien que lorsqu’on en respire soi-même.

Elle ne se haïssait pas : elle s’ignorait, c’est pire.

Combien d’âmes charitables meurent à petit feu parce qu’elles confondent don de soi et disparition de soi ?

L’inégalité envers soi-même se cache souvent derrière les plus beaux mots : altruisme, vocation, amour.

Donner sans se garder un peu, c’est se suicider avec élégance.

L’exigence travestie en vertu

Un enseignant passionné me confiait qu’il travaillait jusqu’à minuit chaque soir.

Pas par obligation, mais par culpabilité.

Il s’en voulait de ne pas être meilleur, de ne pas sauver tous ses élèves.

Je lui ai dit un jour :

“Vous ne souffrez pas de trop vouloir enseigner, mais de trop vouloir réparer.”

Il a ri, puis pleuré longtemps.

C’est là que se loge l’inégalité intérieure : dans l’incapacité à s’accorder la même indulgence qu’on donne au monde.

Il croyait que s’aimer, c’était devenir égoïste.

Mais la vérité est plus simple : celui qui se hait finit toujours par mal aimer les autres.

Le refus d’être soi

Il arrive parfois que le désespoir se présente sous le visage d’un jeune homme.

“Je ne me supporte plus, je veux être quelqu’un d’autre.”

Il venait de perdre une femme qu’il aimait, mais sa vraie perte, c’était lui-même.

Il se noyait dans les jeux, les nuits blanches, les dérivatifs.

Le désespoir n’était pas dans la douleur, mais dans le refus d’être soi.

La guérison a commencé quand il a cessé de vouloir “redevenir comme avant”.

Il a compris qu’on ne revient jamais à soi : on s’y arrive enfin.

La société de la performance

Nous sommes des ouvriers du bonheur, chronométrés à l’émotion près.

Un cadre m’a dit récemment :

“Je me fixe des objectifs de bien-être, et je n’y arrive pas.”

C’est tragique et presque comique : même la paix intérieure est devenue un rendement.

On veut “réussir” sa sérénité.

L’espoir fait vivre, mais faut pas pousser : il a tué plus de monde que la syphilis.

Nous sommes des marathoniens de l’équilibre, des gestionnaires de nous-mêmes.

On s’administre des citations de pleine conscience comme des calmants, en oubliant l’essentiel :

la vie n’a pas besoin d’être optimisée, juste vécue.

La blessure d’amour

Et parfois, dans les silences du cabinet, il arrive que l’un d’eux me dise :

“Je crois que je passe ma vie à m’en vouloir d’exister.”

Alors je me tais.

Parce que là, il n’y a plus rien à corriger.

Seulement à rester ensemble, à respirer, à attendre que la honte se transforme en pardon.

L’inégalité envers soi-même, au fond, n’est pas une faute morale.

C’est une blessure d’amour.

Celle d’un être qui n’a jamais appris à se regarder autrement qu’à travers les yeux de l’exigence.

Celle d’un enfant intérieur qu’on n’a jamais pris dans ses bras.

Le silence comme remède

“Il y a des silences qui réparent plus que mille discours.”

Pas celui qu’on subit, mais celui qu’on rencontre.

Un silence qui ne juge pas, qui ne commente pas, qui simplement tient l’âme comme on tiendrait un oiseau blessé.

Ce silence-là n’est pas vide : il soigne.

Sous les bavardages du mental, il existe un lieu immobile en chacun, un sanctuaire où rien n’a besoin d’être mérité.

C’est là que l’inégalité intérieure s’efface : quand on cesse de chercher à prouver qu’on a le droit d’être en vie.

Dans le calme, chacun redevient égal à lui-même.

La justice de l’âme

Un jour, un homme que tout accablait — dettes, solitude, regrets — m’a dit :

“J’ai compris que Dieu ne me jugeait pas, c’est moi qui refusais son regard.”

Il existe une justice plus ancienne que celle des hommes : celle qui se joue entre l’âme et la lumière.

Quand on s’en approche, on comprend que le pardon n’est pas un acte, mais un état.

Il ne s’agit pas de se dire “je me pardonne”, mais de redevenir capable d’amour sans condition.

On peut remplacer le mot “Dieu” par ce qu’on veut : la Vie, la Conscience, l’Amour.

La paix n’est pas donnée, elle se reconnaît.

On ne la conquiert pas, on s’en souvient.

L’instant où tout s’ouvre

Une larme, un sourire fatigué, un mot qui ne cherche plus à convaincre…

Le patient ne va pas mieux, il va vrai.

Il ne dit plus “je veux guérir”, mais “je veux comprendre ce que je suis venu apprendre ici”.

Alors tout change.

La douleur ne disparaît pas, mais elle devient porte.

Et dans cette ouverture, une lumière minuscule entre, sans bruit.

Elle ne promet rien, elle ne sauve pas, elle éclaire juste ce qu’on refusait de voir :

la seule égalité durable est celle qui se tisse entre le cœur et la conscience.

S’autoriser à vivre

“On meurt de ne pas être aimé, mais on crève de ne pas s’aimer.”

Et si la vraie justice commençait là ?

Dans la façon dont on se parle.

Dans la lenteur avec laquelle on se relève.

Dans la douceur qu’on s’accorde quand on échoue.

Se traiter avec équité, ce n’est pas s’absoudre de tout — c’est cesser de se juger pour exister.

Il y a une différence immense entre s’aimer et s’autoriser à vivre.

La première est un verbe ; la seconde, une réconciliation.

Le murmure final

Alors peut-être que la paix viendra non pas d’un idéal, mais d’un murmure.

Quand, au fond de soi, on cessera de demander des comptes.

Quand on acceptera de n’être ni parfait, ni constant, ni exemplaire – simplement humain.

Quand on ne cherchera plus à “se trouver”, mais à se tenir compagnie.

Ce jour-là, il n’y aura plus de guerre civile en nous.

Juste une respiration juste, claire, fraternelle.

Et dans ce souffle, peut-être, commencera la plus belle égalité :

celle d’un être enfin en paix avec soi-même.

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