Introduction
Il y a ceux qui ne disent jamais non. On les appelle gentils. Disponibles. Attentionnés.
Mais si l’on gratte un peu sous la couche de bons sentiments, on découvre parfois des êtres lessivés, résignés, et, dans les cas les plus graves, en train de porter les courses d’un collègue ingrat sous la pluie… depuis 2007.
Dans une société où « poser ses limites » est devenu un mantra de développement personnel (placardé entre deux citations de Bouddha sur Instagram), ne pas dire non passe pour une douce déviance, une tare affective.
Mais est-ce si simple ?
Ne pas dire non, est-ce un acte d’élégance morale… ou une manière raffinée de se faire bouffer le foie en silence ?
1. L’élégance du oui : l’art de se faire marcher dessus avec grâce
Certaines personnes refusent de dire non par pure décence.
Parce qu’elles ont été élevées dans l’idée qu’il fallait être agréable, serviable, malléable.
Bref, l’idéal pour se retrouver à :
- faire les PowerPoints des autres,
- garder les enfants des voisins,
- accepter une mission de trois mois « juste pour dépanner », sans contrat.
Matthieu Ricard parlerait ici d’un altruisme conscient, d’un geste tourné vers le bien de l’autre.
« C’est en sortant de soi qu’on grandit. »
Certes. Mais parfois, c’est surtout en sortant de soi qu’on se perd dans le garage des autres.
La vérité ?
Beaucoup de gens confondent la bonté avec le service client.
Et dans ce cas-là, l’élégance du oui n’est pas un geste noble : c’est un laissez-passer pour les abuseurs organisés.
2. Une fuite maquillée en vertu
Ne pas dire non, c’est souvent fuir le conflit sous couvert de générosité.
On accepte l’inacceptable pour éviter les vagues, les cris, les discussions en visio où il faudrait dire :
« Je préférerais qu’on respecte mon espace. »
Beurk.
Cynthia Fleury, dans Le soin est un humanisme, dénonce ce syndrome de l’auto-annulation polie :
« La gentillesse devient dangereuse lorsqu’elle remplace la parole. »
Traduction : à force d’être gentil, on devient muet.
Un caméléon émotionnel.
Pratique, doux, remplaçable.
Et surtout : on en veut à tout le monde.
« Je dis oui, mais tu devrais deviner que je pense non. »
Le passif-agressif devient alors le dernier bastion de résistance, entre deux coups de main qu’on n’a pas su refuser.
3. Le « oui » affectif : une déclaration d’amour pas si nette
Certaines personnes ne disent pas non, non pas par peur ou par politesse, mais parce qu’elles aiment.
Trop. Mal. Avec des cernes.
Leur « oui » est un « je t’aime » en version low-cost.
Accepter les caprices d’un partenaire, soutenir un ami qui enchaîne les erreurs comme d’autres les cafés, ou faire le taxi pour ses parents alors qu’on rêve de silence : tout cela est lu comme de l’amour.
Charles Pépin, dans Les vertus de l’échec, suggère que la force d’un lien se révèle dans la capacité à encaisser.
Très bien.
Mais à force d’encaisser, on finit à découvert émotionnel.
Et l’amour devient une sorte de dette affective, à rembourser par mensualités de renoncements.
4. Le paillasson consentant : chronique d’un effacement ordinaire
Il y a, enfin, ces individus qu’on appelle avec affection des « chouettes personnes », mais qui sont en réalité des prestataires de services émotionnels non déclarés.
Toujours disponibles.
Jamais en colère.
Capables d’aider tout le monde… sauf eux-mêmes.
André Comte-Sponville, dans Petit traité des grandes vertus, nous rappelle que :
« La gentillesse est une vertu quand elle ne nie pas le courage. »
Or, à force de dire oui, certains finissent par oublier leur propre nom dans la liste des priorités.
Le syndrome est simple :
- Ne plus avoir d’avis,
- Dire « comme vous voulez »,
- Accepter ce qu’on déteste, en se persuadant qu’on est « flexible ».
En vérité, on devient juste le support client de son entourage.
Conclusion
Ne pas dire non peut être une vertu, un raffinement, un art relationnel.
Mais dans bien des cas, c’est une stratégie de survie déguisée en sagesse zen.
Un costume trop grand pour une peur trop vieille.
Il ne s’agit pas de devenir brutal.
Il s’agit de redevenir libre.
Car parfois, le non est un soin.
Une affirmation.
Un retour à soi.
Et il n’y a rien de moins spirituel que de servir tout le monde… sauf soi-même.
Invitation à la dissidence douce
Et si, cette semaine, vous observiez chacun de vos « oui » ?
- Était-ce par générosité ?
- Par peur ?
- Par paresse ?
Et si vous tentiez, une fois — juste une — de dire non ?
Pas un non crié.
Pas un non vexé.
Un non calme. Clair. Presque tendre.
Un non pour vous.
Un non pour l’autre.
Un non pour l’équilibre.