On peut rire de tout, surtout quand on s’est déjà effondré dans les toilettes d’une station-service.
Il y a ceux qui se lèvent le matin et disent :« Chouette, une nouvelle journée ! »
Et puis il y a les autres. Ceux qui se réveillent avec ce goût de brouillard dans la bouche, ce poids sans nom sur la poitrine, cette fatigue étrange d’avoir rêvé trop lourd.
Ce texte est pour eux.
Pour celles et ceux qui savent que le simple fait de se lever est déjà une victoire.
Pour celles et ceux qui avancent, non pas avec enthousiasme, mais avec courage,
ce mot discret qui ne fait jamais de bruit mais sauve des vies.
On vous a dit : sois fort, sois poli, sois gentil. Comme si la vie était un entretien d’embauche permanent.
Comme si les émotions étaient de vilains troubles du comportement à dissimuler sous des sourires bien repassés.
Mais vous, vous êtes un être humain.
Donc sensible.
Donc vulnérable.
Donc… magnifique.
Votre écorce est fine, oui. Mais elle laisse passer la lumière.
Voici, livré sans ordonnance mais prescrit avec tout le cœur, un guide de survie émotionnelle
à l’usage des cœurs cabossés qui ont encore la grâce de battre. Parce qu’il n’y a pas de plus grande force que de continuer à aimer, à pleurer, à espérer quand tout en vous voudrait fermer boutique.
Écrit par un psychiatre qui a troqué parfois son stéthoscope pour un pinceau et qui sait que les âmes parlent aussi en couleurs. Et qu’un tableau, comme une émotion, n’a pas besoin d’être compris pour être accueilli.
1. Ressentir l’émotion
“Tiens, mon cœur s’est transformé en lave-linge”
Il y a ce moment étrange où le corps vous prévient avant la tête.
Une sueur froide, une boule dans la gorge, un dos tendu comme une corde à linge les jours de tempête.
L’émotion est déjà là. Mais vous ? Vous n’avez encore rien compris. Et pourtant, tout votre être crie qu’il se passe quelque chose. C’est la vie, qui tape doucement à la porte.
On vous a appris à dompter. À contenir. À ranger l’émotion.
Mais une émotion contenue, c’est comme une marée ignorée. Ça finit par inonder ailleurs:
Dans la peau.
Dans le ventre.
Dans le sommeil.
En consultation, je vois tant de corps hurler ce que les bouches n’ont jamais osé dire.
Des douleurs mystérieuses, des malaises sans cause, des souffrances dont on ne retrouve jamais l’origine : elles viennent souvent d’un cœur qu’on a trop sommé de se taire.
Ce n’est pas un caprice. Ce n’est pas une faiblesse. C’est une tentative désespérée de rester vivant. Et c’est beau. Bouleversant, même.
Parce que ce que vous ressentez, aussi violent ou inconfortable soit-il, est le signe que votre humanité est intacte.
Exercice :
Fermez les yeux.
Rappelez-vous une émotion que vous avez récemment voulu fuir.
Où l’avez-vous ressentie dans votre corps?
Visualisez-la.
Offrez-lui une forme, une couleur.
Imaginez-lui une voix.
Peut-être n’attend-elle qu’une chose : être vue.
Non pas pour être jugée, mais pour enfin pouvoir respirer.
2. Penser l’émotion
“Et si j’étais en train de délirer poliment ?”
L’émotion arrive, et votre cerveau démarre au quart de tour. Il sort son vieux GPS affectif.
Celui qui a été programmé il y a bien longtemps par la peur, le manque, ou une enfance sans explication.
Il vous indique toujours la même direction : la dévalorisation, le rejet, l’auto-sabotage.
Et vous, vous suivez l’itinéraire sans même regarder les panneaux.
Et vous voilà perdu dans les mêmes raccourcis tordus :
« Il ne m’écrit plus = je suis abandonné. »
« J’ai échoué = je suis nul. »
« Il me critique = je ne vaux rien. »
Vous connaissez le refrain. Il est vieux. Mais il continue de tourner dans votre tête comme une ritournelle fatiguée.
Mais ces pensées ne sont pas vous.
Ce sont des réflexes.
Des automatismes.
Des restes de blessures mal cicatrisées qui continuent à parler à votre place.
Ce sont des héritages mentaux, parfois transmis sans le vouloir par ceux qui eux-mêmes n’avaient jamais appris à aimer.
Ce ne sont pas des vérités.
Ce sont des hypothèses.
Et certaines sont aussi absurdes que douloureuses.
Penser son émotion, ce n’est pas chercher à la neutraliser. C’est la regarder droit dans les yeux
et lui demander : Es-tu réelle, ou juste l’écho d’un vieux film intérieur ?
C’est devenir un peu plus libre.
Et un peu moins prisonnier de ce GPS qui vous envoie toujours au même mur.
Exercice :
Prenez une pensée automatique :
« Je ne mérite pas », « Je dérange », « Je suis un fardeau ».
Puis imaginez ce que dirait une voix profondément aimante, que vous n’avez peut-être jamais entendue: Qu’est ce qui est vrai dans ton affirmation ? Qu’est ce qui est d’exagérer ?
Laissez cette autre version exister. Même en tremblant. Même si elle vous paraît fausse au début.
Parce que c’est comme ça qu’on commence à écrire une nouvelle carte GPS.
3. Dire l’émotion
“Je ne vais pas bien, et ce n’est pas contagieux”
Il y a une honte collée à nos émotions comme un vieux chewing-gum sous la table.
On se tait pour ne pas déranger.
On sourit pour ne pas s’effondrer.
On joue à aller bien pour que personne ne prenne peur.
On devient silencieusement malheureux. Et cette solitude-là, celle qui ne fait pas de bruit, est une des plus cruelles.
Et pourtant, ce silence-là, il coûte cher. Il se paie en solitude, en tensions, en douleurs sans nom.
Il vous éloigne de vous-même, puis des autres. Jusqu’à ce qu’un jour, vous ne sachiez même plus ce que vous ressentez.
Juste que ça fait mal, partout, tout le temps.
En tant que psychiatre, j’ai entendu les plus beaux mots surgir après des silences de vingt ans. J’ai vu des larmes devenir des délivrances. Et j’ai compris que parler, ce n’est pas faiblesse :
c’est réparation.
C’est même, parfois, le début de la renaissance.
Exercice :
Prenez une émotion que vous gardez pour vous. Écrivez-la.
Dites-la. Même si personne n’écoute.
Vous vous entendrez. Et ce sera déjà immense. Mettez des mots là où, jusqu’ici, vous mettiez des digues.
4. Agir dans l’émotion
“Je vais respirer avant de jeter mon téléphone par la fenêtre”
Entre l’émotion et l’action, il existe un interstice. Un souffle. Une lucidité fragile mais précieuse.
C’est là que tout se joue. C’est la différence:
entre dire une vérité et blesser,
entre fuir et choisir,
entre rompre et poser une limite.
Cet espace-là, minuscule, c’est votre liberté intérieure.
Réagir, c’est l’enfant blessé qui crie.
Agir, c’est l’adulte lucide qui choisit. Celui qui entend l’émotion, l’accueille, et puis décide.
Non pas malgré elle, mais avec elle.
Il ne s’agit pas de la nier, mais de ne pas lui confier les clés de votre vie.
Ce n’est pas se contrôler. C’est se respecter. Ne pas être emporté. Rester ancré.
Offrir à soi-même ce qu’on n’a parfois jamais reçu : une présence ferme, douce et fidèle.
Exercice :
La prochaine fois que ça déborde, arrêtez-vous.
Trois respirations.
Puis posez-vous ces questions :
- Que ressens-je ?
- De quoi ai-je vraiment besoin ?
- Quelle action me permet de rester en accord avec la personne que je suis — ou que je veux devenir ?
Et si vous ne trouvez pas tout de suite la réponse, ce n’est pas grave. L’important, c’est d’avoir demandé.
Conclusion
“Il faut apprendre à pleurer avec élégance”
Certaines douleurs ne crient pas. Elles s’installent. En silence. Et repeignent vos pensées en gris sans jamais demander l’autorisation.
Elles vous persuadent que tout est normal, que ce poids est mérité, que cette solitude est logique. Et à force, vous finissez par y croire. Par vous y habituer. Par vous y enfermer.
Mais non !
Ce que vous ressentez est digne. Ce que vous vivez mérite d’être dit.
Et chaque émotion que vous nommez, c’est un fragment de vous que vous sauvez de l’oubli. Une réconciliation lente avec votre propre humanité.
Dans mon cabinet, il y a des tableaux. Abstraits. Bruts. Imparfaits. Je les ai peints avec ce que je n’arrivais pas à dire. Et mes patients, parfois, s’y retrouvent.
Parce qu’au fond, une émotion, c’est ça :
une forme floue,
un chaos à apprivoiser,
un monde à recontacter.
Vous n’êtes pas trop sensible. Vous êtes vivant. Et si ce monde vous fait croire l’inverse, c’est qu’il a oublié comment on écoute un cœur.
Je suis psychiatre. Je soigne, oui. Mais surtout, j’essaie d’honorer ce qui souffre.
Et je crois, profondément, que vous pouvez commencer à vivre le jour où vous cessez de faire semblant.
Et ce jour-là, personne ne vous demandera d’être parfait. Juste d’être là. Authentique. Présent.
Alors soyez tendre avec ce que vous ressentez.
Même si ça tremble.
Même si ça déborde.
Même si c’est moche.
Ce qui vous traverse vous appartient. Et mérite d’être honoré. Jusqu’à ce qu’un jour, vous n’ayez plus peur d’être vous.
Appel à l’action
Prenez cette émotion que vous fuyez d’habitude.
Offrez-lui un siège.
Écoutez-la comme une vieille chanson que vous avez oubliée d’aimer. Et dites-lui simplement :
« Je ne te crains plus. Tu fais partie de moi. »
Parce qu’il n’y a rien de plus bouleversant que quelqu’un qui recommence à ressentir.
Vraiment.
Même si ça fait mal.
Et parfois, oui…c’est beau jusqu’aux larmes.