Un grand penseur que personne ne connaît, probablement parce qu’il avait trop de bon sens pour être médiatisé, disait : « Avant d’entrer en dispute, demandez-vous si votre interlocuteur possède les moyens intellectuels d’en sortir. »
Car enfin, faut-il vraiment tout discuter ?
L’inutilité de certaines discussions
Prenez un énergumène convaincu que la Terre est plate, que les pyramides ont été construites par des extraterrestres et que le réchauffement climatique est une invention des fabricants de crème solaire. Lui expliquer qu’il est peut-être victime d’une légère myopie intellectuelle serait aussi efficace que de demander à une huître de résoudre une équation différentielle.
Non pas qu’il soit incapable d’entendre, mais il a fait vœu d’ignorance et s’y tient avec une rigueur monastique.
Ajoutez à cela ceux qui, sans jamais avoir lu une ligne d’histoire, vous affirment avec aplomb que le Moyen Âge était une époque de paix et de prospérité, ou que l’homme n’a jamais marché sur la Lune. Engager la conversation avec eux, c’est comme tenter d’expliquer l’opéra à un poisson rouge : il clignera des yeux, puis retournera nager dans ses certitudes.
L’illusion du débat constructif
Certains esprits, nobles et bienveillants, persistent pourtant à croire que tout dialogue est possible, que l’échange d’idées, même avec un individu obtus, peut aboutir à une révélation.
Quelle touchante naïveté ! Certains croient aussi que crier « paix ! » en pleine guerre arrête les balles.
La vérité, c’est que discuter avec quelqu’un qui refuse toute perspective différente, c’est comme jouer aux échecs contre un pigeon : il va renverser les pièces, déféquer sur l’échiquier et repartir en roucoulant, persuadé d’avoir gagné.
Si vous avez déjà essayé d’expliquer à un adepte des théories du complot que la science repose sur des faits et non sur une conspiration mondiale, vous comprenez exactement ce que je veux dire.
Le débat comme sport de combat
Il y a ceux qui croient que la discussion est un combat à mort où seul celui qui crie le plus fort l’emporte. Ceux-là, non contents d’être imperméables à la réflexion, sont aussi d’un bruit insoutenable.
Ils s’acharnent à défendre leurs idées comme on défendrait une forteresse en papier face à un lance-flammes.
Leur devise : « Ce que je pense est vrai parce que je le pense. »
Avec un tel argument, on comprend pourquoi certaines têtes creuses restent désespérément creuses.
Essayez donc d’expliquer à un supporter de football fanatique que l’équipe adverse a parfois de bons joueurs. Vous risquez de vous retrouver avec une canette sur la tête.
Quand la discussion devient un art subtil
Mais soyons justes : il existe aussi des conversations fécondes, où l’échange d’idées est un ballet élégant plutôt qu’un pugilat de basse-cour.
Parler avec quelqu’un qui accepte la contradiction, qui reconnaît la nuance, qui admet — suprême audace — qu’il pourrait se tromper, voilà qui est aussi rare qu’un taxi libre sous la pluie.
À ces âmes rares, on peut concéder du temps et de l’énergie. Mais tenter d’éveiller un esprit hermétiquement clos, c’est comme vouloir faire boire un âne qui préfère sa soif à la remise en question de son libre arbitre.
Imaginez un échange avec une personne cultivée qui, bien qu’en désaccord avec vous, écoute, réfléchit et répond avec intelligence.
Ce genre de débat est un plaisir, un sport cérébral où chacun sort grandi.
À quoi bon insister ?
D’ailleurs, certains diront que toute discussion, même infructueuse, contribue à notre construction personnelle. Après tout, tenter de convaincre un sourd ne fait pas de nous un sot, mais plutôt un apprenti du bonheur qui apprend, à ses dépens, la vanité de certaines luttes.
D’autres, plus pragmatiques, vous rappelleront que les débats sont utiles à condition qu’ils servent un dessein commun et qu’ils s’ancrent dans la réalité.
Un beau concept, certes, mais encore faut-il que la réalité intéresse votre interlocuteur !
Si vous débattez avec quelqu’un qui pense que la Terre a été créée il y a 6 000 ans avec des dinosaures en guise d’animaux de compagnie, il y a fort à parier que votre énergie sera mal dépensée.
Enfin, il y aura toujours les défenseurs de la dispute pour la dispute, pour qui la joute verbale est un exercice d’entraînement, un moyen de se confronter à la diversité du monde.
Ils diront que débattre avec un mur peut être un bon entraînement au combat intellectuel, un apprentissage de l’endurance mentale.
Une belle théorie. Mais à quoi bon faire de la boxe contre un sac de sable si celui-ci ne riposte jamais ?
La sagesse du retrait
On me rétorquera qu’il ne faut pas abandonner, qu’il faut persévérer dans l’éducation des masses, que convaincre un idiot est un devoir civique.
Certes. Mais enfin, tout le monde n’a pas l’âme d’un martyr.
Il arrive un moment où l’intelligence, fatiguée de se heurter à l’inertie de la bêtise, doit se retirer avec dignité.
Abandonner un débat futile n’est pas une reddition, c’est une marque de sagesse.
Ne pas débattre avec un imbécile, c’est aussi protéger son foie, son cœur et, dans certains cas, la vaisselle.
Alors, la prochaine fois que l’on vous lance un débat aussi creux qu’un melon hors saison, demandez-vous ceci :
Suis-je en face d’un partenaire d’échange ou d’un mur en béton armé ?
Si c’est un mur, autant lui peindre des fleurs : cela aura au moins une utilité esthétique.